le Père Noël de Fougerolles


Tous les ans, c’est la même chose. Tous les ans, le Père Noël appréhende. Bien sûr, il se réjouit de faire sa tournée, par delà les frontières, pour apporter des milliers de cadeaux aux enfants du monde entier. Mais ce que craint le Père Noël, c’est le moment où il survole avec ses rênes le pays de la cerise, dans les environs de Fougerolles.Si, dans toutes les maisons de tous les continents, parents et enfants lui laissent gentiment quelques gâteaux et un grand verre de lait pour se requinquer, ceux de Fougerolles ont remplacé, voilà déjà bien longtemps, le verre de lait par un dé à coudre de kirsch.

« Ça va le réchauffer, ce bon vieux Noël » qu’ils disent les gens du coin, « ça va le ragaillardir pour le reste de la nuit ! ».

Le problème, si c’en est un, c’est qu’il aime bien ça, le kirsch, le Père Noël. C’est bon et puis ça réchauffe. Mais il ne faut pas en abuser. C’est qu’il faut conduire le traîneau. Sans compter la Mère Noël qui n’aime pas, mais alors pas du tout, voir son mari rentrer pompette de sa tournée.

En général, ça se passe bien. Dans chaque maison, il trempe juste ses lèvres dans le verre, et en profite pour humer les bonnes odeurs de cerise, de queue de cerise, de noyau de cerise, exhalées par la boisson.

Mais, l’an dernier, tout est allé de travers. La première maison qu’il a visité, là-haut, dans la montagne des Vosges Saônoises, lui avait réservé une surprise. Après avoir passé son gros bedon le long de la cheminée, il est tombé, les fesses les premières, dans une jolie pièce éclairée et réchauffée par un beau feu de bois.

Là l’attendaient non seulement le fameux verre de kirsch, mais aussi un joli petit festin : gandeuillot, andouille et même un beau morceau de munster, puant à souhait. Alors, après avoir méticuleusement disposé les cadeaux au pied d’un gigantesque sapin, le Père Noël a fait bombance.

Il a commencé par la charcuterie, tout en dégustant le kirsch, puis a poursuivi avec le fromage, tout en dégustant le kirsch, et s’est même offert en dessert une part de gâteau de ménage, tout en dégustant le kirsch.

Tant et si bien qu’à la fin de son en-cas, le verre était vide. Il eut les pires difficultés à remonter la cheminée. Quand il fut enfin arrivé sur le toit, il trouva ses rênes, qui commençaient à s’impatienter. On poursuivit donc la livraison de cadeaux.

Quelques maisons passèrent, avec, dans chacune d’elles, une minuscule gorgée de kirsch, qui se faisait un peu plus grosse à chaque fois. Quel gourmand, ce Père Noël ! Alors, de maison en maison, de village en village, là, dans le pays de la cerise, le traîneau se mit à voler de plus en plus en zigzags.

Quand il arriva sur le dernier toit, à l’assaut de la dernière cheminée, le nez du Père Noël était plus rouge que celui de son célèbre petit rêne. Là, il glissa sur une plaque de verglas et se ramassa – patatras ! – dans la neige qui avait couvert le jardin.

Il parvint à remonter tant bien que mal grâce à une échelle à cerisiers et termina comme il put sa tournée fougerollaise. Mais en repartant, il crut pouvoir ignorer son GPS de traîneau. Et se retrouva, totalement perdu, en plein pays de Montbéliard, le domaine réservé de Tante Arie.

Ce qui devait arriver arriva : le gros bonhomme y croisa la vieille dame. Et celle-ci, on la comprend, prit ombrage de cette intrusion dans son territoire. À Montbéliard, c’est Tante Arie la reine de Noël, et personne d’autre !

Bien que très gentille habituellement, Tante Arie, furieuse, prit son smartphone pour prévenir Mère Noël de la situation. Autant dire que le retour de tournée ne fut pas le plus joyeux de la longue vie du Père Noël.